Le quotidien dans le travail d'éducateur

Le quotidien dans le travail de l’éducateur

 

 

Le quotidien peut être considéré comme le lieu essentiel de l’action éducative.

L’éducateur partage le quotidien de la personne, quel que soir le lieu de la rencontre…

-         c’est le partage d’un lieu : l’internat

-         c’est le partage d’un vécu : celui de la personne (quand prise en charge externe…prévention spécialisée…)

 

Le quotidien : un concept aux volets multiples

 

 

Le quotidien ordinaire : ou Quotianité

 

 

Le quotidien que nous vivons tous, celui qui s’impose comme allant de soi : Le quotidien de la vie quotidienne.

Ce quotidien vise à satisfaire les besoins élémentaires…ce quotidien est ainsi vécu comme une façon d’être au monde.

 

IL s’agit de ce qui est nommé « quotidien de sens commun », celui qui est vécu par chacun d’entre nous.

 

Le quotidien devient alors cet espace-temps tel que définit par Aristote :

Il s’agit de l’automaton qui est répétition, automatisme ( se laver, manger, se coucher…), toujours avec cette part de culturalité qui vient se greffer sur les actes de la vie quotidienne.

 

-         l’intervention éducative par exemple :

·        faire que ces automatismes soient encore possibles, lorsqu’ils n’ont plus de place dans la vie de la personne.

·        Faire que ces automatismes puissent être à nouveau rythmés, selon des séquences temporelles spécifiques et repérées…sachant qu’il s’agit d’un rythme culturel pré-défini, voire social construit…(la position sociale des uns et des autres peut faire varier le rythme….construction de variantes par rapport à la situation considérée comme « normale »…

 

 

Ainsi, le quotidien nous conduit dans son acte répétitif à la notion de rites…de rituels…

 

Qu’est-ce qu’un rite :

 

Le propre du rite est d’être prescrit, codifié, répété et réalisé en vue d’obtenir un effet déterminé..

Le rite qualifie une conduite répétitive et chargée de symboles. Il sacralise.

Le rituel est ainsi le cérémoniel dans lequel s’insèrent différents rites. Il est de l’ordre du prévisible.

 

GOFFMAN aborde les rites pour traiter de la mise en scène de la vie quotidienne….aussi bien dans l’espace privé de la maison que dans l’espace public (abordant tant la question de la circulation des personnes dans la rue, que celui des positionnements dans les ascenseurs…les transports en commun).

 

 

Le quotidien dans son déroulement a ses points d’ancrage qui s’expriment à travers le corps, les habitudes, les rituels, le sacré ; la familiarité…..les points d’ancrage assurent, entre illusion et réalité, une permanence, une continuité au quotidien.

 

Il s’agit d’un espace temps ordonné : d’une régularité ordonnée et prévisible. Nous savons ce qu’il va se passer.

Il crée un ordinaire…un ordre rendu visible par et pour tout un chacun, quel que soit le citoyen et d’une certaine façon l’institution (règlement, horaire). Il permet au sujet de s’orienter dans l’espace et dans le temps, de pouvoir instaurer des rites, des habitudes et de s’organiser (rappel du rituel).

 

Nous répétons les mêmes actes selon un ordre (pré)réglé sous l’influence de cultures de référence. Cette culture est celle de la société de référence, mais aussi celle des institutions.

 

Le quotidien ou les quotidiens ?

 

-         Le quotidien relatif à la culturalité

-         Le quotidien de l’institution, institutions qui produisent du moi (famille, école, loisirs, voisins, territoire d’habitation, information, éducation…

 

Le quotidien de l’institution est conditionné par  le cadre de la structure, du public accueilli.

·        Cadre pour lequel l’institution a reçu un agrément et envers lequel elle a à accomplir des missions spécifiques….pour aller vers une prise en charge adaptée (accompagnement, suivi…).

·        La quotidien de l’institution, c’est aussi la prise en considération du rapport à la loi tant dans sa dimension symbolique que réelle.

-         le quotidien au travers de ce qu’il énonce précise les droits et les obligations de chacun, y compris envers les autres.

-         La loi dans sa dimension symbolique pose la question des limites : ce qui est permis et ce qui ne l’est pas : loi qui doit être intégrée par le sujet.

-         L’Educateur quotidiennement énonce la loi et la fait respecter au travers des actes de la vie quotidienne, des engagements pris.

-         L’usager a besoin que ce cadre lui soit énoncé, rappelé en boucle si nécessaire, de façon redondante.

 

 

C’est dans ces expériences que l’institution donne à vivre des possibilités de vivre autrement…

 

 

 

-         Le quotidien de la personne (ses occupations, ses souffrances…)

-          Celui-ci est bien sûr parfois articulé au quotidien partagé auquel il participe…. « le vivre bien », « le mieux vivre possible »…

Le quotidien peut alors être vécu comme outil de partage….le quotidien dans son rapport au collectif.

 

Il est fait de langage partagé, il est chargé de signes ‘hors production de discours) laissant place à l’expression non verbale, à l’implicite, à la connivence, aux codes restreints.

 

 

 

 

Des quotidiens qui s’emboîtent, qui se superposent avec parfois beaucoup de difficultés.

 

Le quotidien ne se limite pas au banal, au répétitif, au routinier.

 

Aristote définit le quotidien par deux entités :

-         l’automaton

-         le tuché

 

Tuché qui est la fortune que l’on nomme plus volontiers la « surprise ».

 

Le quotidien du sujet ne se réduit pas au cadre qui lui est imposé : les acteurs ont leur marge et peuvent prendre des chemins de traverse.

 

Ainsi, le quotidien est partout : dans le saisissable et l’insaisissable. Il est de l’ordre de ce que nous ne maîtrisons pas, parce qu’il nous échappe, même si nous tentons de le contrôler, de le prévoir, de la canaliser…

Pour y parvenir, nous créons des institutions :

 

Ainsi, le quotidien est aussi exceptionnel, insolite, bizarre, voire « fou ». Lorsque l’événement vient introduire une rupture et déranger l’ordre en cours.

L’événement vient faire rupture dans le temps du quotidien parce qu’il désigne un avant et un après.

 

Le quotidien c’est aussi l’espace temps du désordre, le temps de l’imprévu : le temps de la désorganisation, de la surprise, celui provoqué et formé par l’événement.

 

 

Le quotidien événement :

 

L’événement peut être issu du quotidien lui-même. C’est le refus du quotidien qui peut amener des décisions qui peuvent apporter des changements importants.

 

 

L’événement requiert une intervention :

-         une action

-         un langage…….., qui exprime, qui extériorise l’événement.

 

Il y a :

-         Les micro-événements : la panne de voiture, le lavabo bouché, l’ampoule grillée…

-         Les macro-événements : l’accueil d’un arrivant, l’obtention d’un diplôme, l’anniversaire d’un résident…

 

…, tout ce qui peut-être porteur de nouvelles valeurs, d’une nouvelle réalité présente et à venir, de tout ce qui peut bouleverser.

 

C’est ainsi que la quotidienneté, comme le précise P. Fustier[1], inscrit une temporalité qui est faite de protentions, c’est-à-dire de projets, de possibilités nouvelles. Le temps devient un temps événementiel qui permet d’expérimenter de nouvelles solutions, parce qu’il s’agit d’accepter l’imprévisible.

A ce propos, P. Fustier fait référence à  Héraclite qui disait : « Le temps est un enfant qui joue avec des pions ».

 

 

Ces macro et micro événements font « événement »à condition d’être posés et interprétés comme tels.

 

Il y a des temps événement qui sont posés d’emblée comme la situation d’accueil.

 

Le temps de l’accueil de l’usager est une période événement …cette période est une temporalité qui lui permet de fabriquer des points d’ancrage, des outils utilisables afin de pouvoir dessiner un avant et un après augurant un temps de rupture avec  le passé permettant de s’ouvrir simultanément à un temps fondateur visant à essayer de vivre autrement : vers l’élaboration d’un projet individualisé qui vient lui aussi faire événement dans le quotidien de la personne.

 

Devoir faire face aux mico-événements, comme aux macro-événements fait partie du travail de l’éducateur :

-         en improvisant

-         c’est la mise à l’épreuve de soi et des autres par la colère, la frustration, les reproches, l’énervement…

 

D’ailleurs dans le désordre le quotidien peut se revivifier : il est la possibilité d’aller vers de nouvelles façons d’agir, vers une façon nouvelle de redéfinir sa situation, de réinterroger le sens de sa vie.

Puisqu’il est mis en demeure de réagir, d’intervenir, d’inventer, de créer, de trouver une place, d’expliquer, d’expliciter, de se familiariser…ce qui permet alors d’apprivoiser ce qui dérange, de bousculer, de changer, d’interroger.

 

 

Le travail de l’éducateur s’est aussi de « créer le micro-événement », de façon à ce que ça ne « routine » pas.

 

Si l’éducateur est garant du cadre ordinaire, Il doit être vigilant à ce que ça ne ronronne pas trop, au point d’étouffer toute initiative non conforme aux habitudes convenues en cours.

Son rôle consiste outre d’assurer le cadre d’une quotianité, à créer des micro-événements, introduire de l’inattendu, de l’imprévisible si nécessaire pour empêcher l’enfermement…penser à ce qui pourrait surprendre…

L’éducateur est effectivement appelé à faire une part au rêve, à cet imaginaire qui ouvre les horizons, qui rend accessible, ce qui semblait impossible.

 

 

Certains événements ont cependant un statut particulier pour le sujet dans la mesure où ils influencent négativement la capacité de l’usager à vivre le quotidien au présent (par exemple les fêtes de la noël en MECS…)

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Ce sont des événements d’un passé souvent proche et brûlant dont les effets et représentations sont envahissants.

Le sujet va essayer de comprendre en quoi les événements puisent la force de leur impact dans cette histoire souvent, complexe, difficile à saisir.

Il s’agit de pouvoir construire un récit personnel tel un roman, qui mette en scène et en sens ce qui a été vécu et aide le sujet à prendre un recul suffisant.

 

L’usager est parfois, « fixé par et sur ». Un des risques est alors que tout ce qui se passe dans sa vie soit un non événement, tout ce qui peut se vivre apparaît alors sans relief.

 

Tout le monde ne bénéficie pas d’un quotidien. Il ne faut pas oublier ceux qui vivent des presque quotidien, des quotidiens ébréchés, parce que subissant l’errance, la violence, la perversité, le chaos, la maltraitance, l’abus d’autorité. Ces publics en déficit de quotidien …où il devient alors essentiel d’œuvrer pour son quotidien.

 

Le quotidien entre l’ordinaire et l’exceptionnel :

 

Le quotidien c’est la combinaison d’une quotianité ouvert à l’événement (micro-macro). Cette combinaison peut s’exprimer en termes de polarité, notamment la polarité « formel prévisible / informel imprévisible ».

 

·        Il est donc à la fois cette acceptation difficile d’être dérangé parce qui advient de surprenant.

·        Il est une invitation à penser la réalité telle qu’elle de présente avec ses ornières, ses chemins creux, ses contraintes,

·        Il est aussi une invitation au voyage, des opportunités à saisir, des prises de risque.

 

Le sujet doit effectivement décoller de la quotianité pour vivre pleinement le quotidien, pour le vivre dans sa richesse.

 

 

Si le quotidien a une permanence, une stabilité, il a aussi une instabilité intrinséque, inhérente à lui-même. Et, c’est pour cela qu’il peut évoluer, qu’il est porteur d’espoir, de changements possibles. Le quotidien n’est pas un destin, il est le terreau de signification et d’élaboration possible, il est le tremplin pour aller vers d’autres horizons.

 

Ainsi, les types de quotidien oscillent entre deux types opposés :

-         qui se fixe et qui s’enroule sur lui-même

-         qui n’est qu’ouverture et possibilité autre…

 

C’est ainsi que le quotidien, comme le dit J. Rouzel[2] : « …est peuplé de choses, de bricoles : assiettes, casseroles, vêtements, draps, moutons sous les lits, poussière…qu’il faut ranger, d’ « hommestiquer », humaniser. C’est pourtant, à l’endroit de ces banalités, de ce terre à terre, de ce « ras les pâquerettes », que se construit la clinique éducative ». Un temps où il s’agit de donner de son temps pour le mettre au service de l’autre. Il devient alors essentiel, comme le rappelle l’auteur, de distinguer dans la pratique éducative, le temps « chronos » qui correspond au temps qui s’écoule, que mesurent les horloges et les rites sociaux, du temps « Kaïros » qui marque le moment propice, temps de la surprise, temps où l’occasion fait le larron.

 

Le quotidien zone d’étayage du moi du sujet

 

Le quotidien contribue à étayer le moi du sujet, à la soutenir pour qu’il parvienne à se confronter aux exigences de la réalité institutionnelle, pour qu’il puisse mettre en œuvre ses demandes, ses désirs.

Elle tente de donner aux personnes une enveloppe. Celle-ci consisterait à « imprégner » la personne pour qu’elle ait le sentiment d’être contenue, de pouvoir être rassurée. Le quotidien a cette fonction d’assurance, voire de réassurance. Il est repère.

 

Comment ces repères formalisés par le quotidien peuvent-ils être considérés comme « zone d’étayage » pour la personne ?

 

L’institution en tant que structure d’hébergement se propose alors pour P.Fustier comme une réalité trouvée. La fonction cadre du dispositif, dans la construction de son quotidien de vie, se propose effectivement comme une réalité  trouvée par les résidants du FH. Les systèmes d’invariants (comme les nomme P. Fustier) sont nombreux. Sur les portes du lieu de vie, chacun peut y trouver des plannings de charges, concernant les tâches du quotidien, avec son prénom et ce qu’il a à faire pour assurer le bien être de tous. Toutefois, ces cadres « trouvés », parce qu’ils proviennent de l’institution, sont aussi ce qui provient d’eux.

Le dispositif institutionnel, en exerçant une fonction cadre, propose une temporalité qui favorise une constance, une stabilité, une invariance qui, tout en permettant le déroulement d’une vie au quotidien, remplit selon P. Fustier[3] « sa tâche primaire de rééducation  et de soins », en proposant un espace de potentiels, susceptible de favoriser, lorsqu’on se réfère à la pensée de D. Winnicott[4], un investissement transitionnel.

En effet, en se référant à la célèbre formule de D. Winnicott, le phénomène transitionnel est un « trouvé-créé ». « Trouvé » dans le monde extérieur, dans la réalité, mais aussi « créé » par le sujet, qui le contrôle et met au service de sa réalité intérieure, ces éléments « trouvés » dans la réalité extérieure. Ainsi, l’institution, en tant que structure d’hébergement se propose comme « réalité trouvée ».

 

Ainsi, l’organisation de l’espace et du temps, selon P. Fustier, dans ses caractéristiques objectives, doit préexister à la venue de la personne accueillie, voire ne pas être inventée par ou avec celle-ci. Il est important qu’elle soit trouvée. Il s’agit, dés lors, qu’elle fasse l’objet d’un invariant. Les cadres sont effectivement posés sur des feuilles, selon un rythme défini, affichés sur des murs, des portes,  à la vue de tous.

Pour reprendre l’expression de Jeammet, Fustier précise que ce dispositif mis en place, ne doit pas être « subjectivisé ». La personne accueillie n’a pas le pouvoir de transformer les règles. Celles-ci doivent se maintenir comme règles, indépendamment des attaques dont elles peuvent faire l’objet de la part de ceux auxquelles elles s’appliquent.

 

Cela ne signifie pas non plus qu’un dispositif doive rester immuable. Cela signifie juste comme le précise P. Fustier, que son évolution est l’affaire d’une réflexion collective. En effet, il est important de considérer selon l’auteur, que « toutes les interruptions sont susceptibles de pouvoir renvoyer la personne à un déchirement. Toutes les fois que s’introduisent, coupures, séparation, discontinuité, ces événements peuvent constituer des moments particulièrement difficiles à vivre pour les résidants souffrant pour la plupart de carences psychoaffectives. Ce qui dans le dispositif a fait rupture et qui normalement reste muet, sera alors pris de façon persécutoire, agressive ou angoissée ».

 

L’institution qui se désigne comme « famille (propos que j’ai d’ailleurs entendu énoncés par les différents acteurs de l’institution et tout particulièrement par le directeur) – non famille », peut alors être constituée comme un espace transitionnel. Celui-ci peut devenir un «trouvé», en même temps qu’il est investi comme un « créé », dans la mesure où il s’y rejoue quelque chose de ses relations familiales intériorisées. Selon P. Fustier[5] « réapparaîtrait la rage du nourrisson impuissant que la mère abandonne ». Ainsi, en imitant la vie de famille, relative à une quotidienneté prise dans un système d’invariants culturels (système auquel se réfère tout individu appartenant à une société donnée), l’institution fait ressurgir des moments où se joue le prolongement des rapports avec la mère nourricière.

 

c)  L’espace-temps en institution : une zone institutionnelle d’étayage

 

L’institution constitue dès lors une zone institutionnelle d’étayage, dans la mesure où vont se fabriquer des moments où se rejoue de façon préférentielle la problématique du premier lien avec la mère nourricière. Ainsi, pour revenir aux propos de P. Fustier, « l’institution se constitue sous l’emprise d’un organisateur psychique inconscient qui est la dévotion maternelle ». Selon l’auteur, la dévotion maternelle qualifie ce moment particulier pendant lequel la mère, juste après la naissance de son enfant, se montre capable de satisfaire à la perfection et sans hésitation les besoins de celui-ci, comme s’il s’agissait encore de ses propres besoins ».

Cette dévotion maternelle serait donc reprise en compte par l’institution. Il s’agirait selon P. Fustier de « le (l’enfant) combler, de tout lui donner, de répondre à un manque par un plein d’amour ». Nous constatons effectivement que l’institution met en place, par construction, des espaces-temps consacrés à la nourriture, au soin, à la protection (les repas, les couchers…), susceptibles d’induire ou de provoquer des relations d’objet par étayage. Ces zones peuvent, dés lors, être appelées « zones institutionnelles d’étayage ».

Je ferai, à ce niveau de la réflexion, une brève référence à S. Freud[6] qui indique effectivement que des relations d’objet par étayage sont établies par des personnes s’occupant de la nourriture, du soin et de la protection de l’enfant. Celui-ci nouant dés lors avec ces personnes des relations sur le modèle des rapports avec la mère nourricière. Si Freud évoque la période de l’enfance, il me paraît essentiel d’élargir ici le propos à la pe